Au sein de l’Université Paris Dauphine, des professeurs de management visionnaires viennent de créer un musée unique au monde. La CFE-CGC l’a visité.
Au départ, cela commence comme une pochade d’universitaires sirotant des bières, en fin de journée idyllique, lors d’un séminaire en Corse : « Et si on créait un musée du management ! » De chiche en aiguille, l’idée prend corps, se perfectionne, puise dans l’existant muséographique. « Nous nous sommes fait accompagner de spécialistes des musées, raconte Sébastien Damart, professeur de management à Paris Dauphine et l’un des concepteurs du musée, qui accompagnait une délégation de la CFE-CGC le 12 novembre. Nous avons notamment collaboré avec le musée du CNAM et avec d’autres partenaires comme le Cercle de l’Innovation » (une structure de soutien de projets de recherche créée sous l’égide de la Fondation Dauphine, NDR).
Une version itinérante de l’exposition circule entre 2018 et 2023 dans différentes collectivités et entreprises. Puis se sédentarise en 2024. « Paris Dauphine nous a accordé 150 mètres carrés qui sont précieux dans une université à espace contraint, ce qui révèle sa volonté forte d’investir sur ces sujets-là. »
UN LIEU SPECTACULAIRE REGORGEANT D’OBJETS, DE PHOTOS, DE DOCUMENTS, DE VIDÉOS
Le Musée du Management exerce d’emblée une mission pédagogique. « Quelque 700 étudiants y passent en début de 2ème année de licence pour qu’on leur dise des choses à propos du management. Nous sommes universitaires et enseignants d’abord », rappelle Sébastien Damart. Parallèlement, il est devenu un lieu spectaculaire en tant que tel, regorgeant d’objets, de photos, de documents, de vidéos, d’inventivité. « Nous avons eu une approche historienne, résume l’enseignant, en se concentrant sur les deux derniers siècles, même si le management existe depuis la nuit des temps. En recherchant des thématiques, nous sommes arrivés au constat que beaucoup de choses tournent autour du contrôle dans le management. »
Que trouve-t-on dans les salles d’exposition qui serait l’équivalent d’une Ferrari dans un musée de l’Automobile ? Par exemple, un livret ouvrier, sorte de passeport au XIXe siècle créé par les corporations (le patronat de l’époque) pour sédentariser de force leur main d’œuvre.
Ce document devait être visé par l’employeur, la mairie ou le commissariat du village ou de la ville où l’ouvrier était embauché. Il était indispensable pour se faire embaucher. Les patrons le confisquaient systématiquement. Un ouvrier surpris à voyager sans ce livret pouvait être suspecté de vagabondage et condamné à de la prison, apprend-on lors de la visite. « C’est un des premiers artefacts qui signale ce qu’est d’une certaine façon le management, et ce n’est pas sa version la plus enchanteresse… », commente Sébastien Damart.
LA PREMIÈRE POINTEUSE DE L’HISTOIRE
Autre clou de la visite : la pointeuse à cadran d’Alexander Dey, une sorte d’horloge indiquant les mois de l’année et le numéro des ouvriers, et sur laquelle l’ouvrier pointait matin et soir. C’est la première pointeuse de l’histoire. « Intéressante parce qu’à l’époque naissait la concurrence entre deux systèmes de rémunération, rappelle Sébastien Damart : la rémunération à la pièce (en fonction du nombre de pièces produites) et la rémunération au temps passé, qui nécessite une mesure du temps de travail réel. » Pour la petite histoire, Alexander Dey, le créateur de cet instrument en 1888, s’associa avec un certain Willard Bundy pour donner naissance à la Computing-Tabulating-Recording Company (CTR) en 1911, rebaptisée en 1924 International Business Machines (IBM)...
UN ÉCHO AUX THÈMES ACTUELS DU MANAGEMENT
Une autre question est de savoir à quel point le musée transcende l’histoire pour correspondre aux thèmes modernes du management. Réponse sans ambiguïté de Maxime Legrand, président de la Confédération européenne des cadres (CEC) et secrétaire national CFE-CGC en charge du secteur organisation du travail et santé au travail : « Le musée est très bien documenté. J’y ai trouvé beaucoup de parallèles avec nos sujets actuels d’études à la CFE-CGC. Dans notre projet SUPERMANagement, la question de la confiance était au cœur de l’enquête. Or c’est un des premiers sujets qui a été cité, avec la pointeuse à cadran d’Alexander Dey ou le livret ouvrier. C’était leur façon de retenir les talents ! Et j’ai aimé le fait de resituer la question du management dans l’Histoire longue humaine. Cela ramène le sujet à une science éternelle, un besoin vital et élémentaire pour toute société, tout collectif. »
Gilles Lockhart
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