Lors d’une table ronde organisée par l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), Christelle Toillon, déléguée nationale de la CFE-CGC, a décliné un thème historique du syndicat.
C’est Pierre Damiani, le président CFE-CGC du conseil d’administration de l’Apec, qui a introduit la table ronde du jeudi 7 mars sur le thème « Argent, carrière, sexisme : agir pour l’égalité ». « Agir pour l’égalité professionnelle est un des axes majeurs de l’Apec », a-t-il rappelé. L’Apec va d’ailleurs décliner cette thématique au fil de rendez-vous en régions (Bretagne, Grand-Est, Auvergne Rhône-Alpes…) à partir du printemps, puis cet automne à Paris.
Quatre intervenants se sont succédés avant de laisser la place à une table ronde réunissant des responsables syndicaux salariaux et patronaux (CFE-CGC, CFTC, CFDT, FO, CGT, CPME, Medef, U2P) à laquelle participait Christelle Toillon, déléguée nationale CFE-CGC en charge de l’Egalité professionnelle.
UN ECART DE SALAIRE H/F QUI PERDURE
Olivier Busnot, chef de projet à la Direction des données et des études de l’Apec, a rappelé quelques chiffres pour fixer les esprits : l’écart sur les médianes de salaire des cadres (rémunération fixe et variable avant prélèvements, hors intéressement et participation) est de 15 % en faveur des hommes et constant dans le temps. A profil comparable, cet écart se résorbe à peine puisqu’il était de 8,5 % en 2014 contre 7,1 %, aujourd’hui. Il indique également que si 37 % des cadres aujourd’hui sont des femmes, elles ne sont que 28 % à être managers, et quand elles le sont leurs responsabilités sont moindres.
Titiou Lecoq, journaliste, essayiste et romancière, a bluffé la salle par son peps. Elle a commencé par rappeler que l’inégalité femme-homme commence tôt puisque, selon l’étude d’une banque en ligne, les petits garçons touchent 4 euros d’argent de poche par semaine de plus que les filles. « Pourquoi ? Parce qu’ils demandent plus souvent des augmentations à leurs parents ! », anticipant les comportements masculins qu’on retrouve en entreprise. Elle suggère de caler les règles européennes en matière de parité sur celles en vigueur « dans le pays le mieux disant », de passer toutes les réformes politiques au prisme des priorités des femmes ou encore de baser toutes les normes de fonctionnement d’une entreprise sur une catégorie de personnes : la mère célibataire. « Avant de fixer une réunion, toujours se demander si son horaire fonctionnera pour une mère célibataire. Au lieu de dire : elle se débrouillera, c’est son choix d’avoir des enfants… »
Sophie Pochic, sociologue et directrice de recherche au CNRS, a livré une intervention plus scientifique sur le thème « Comment favoriser l’accès des femmes aux postes à responsabilité et briser enfin un « plafond de verre » qui résiste encore souvent ? » Entre autres pistes, elle met en avant l’importance de « soutenir les femmes cadres pour qu’elles arrivent à se conformer à des normes masculines », et parallèlement de « compenser, par des formations comportementales personnelles, le sexisme ambiant qui amène progressivement les femmes à douter d’elles-mêmes. Les inciter à candidater aux promotions, aux formations très visibles comme les MBA. »
AGGRAVATION DU SEXISME CHEZ LES JEUNES
Marie Larsonneau, responsable des partenariats de l’Association française des managers de la diversité (AFMD) a communiqué quelques résultats du baromètre #StOpE, une enquête biennale sur le sexisme ordinaire en entreprises représentant 90 000 personnes interrogées : huit femmes sur 10 ont déjà été confrontées à des agissements et propos sexistes au travail (propos, remarques, blagues, interpellations, maladroites, insidieuses, dégradantes…) ; six hommes sur 10 reconnaissent avoir été témoin de telles pratiques...
Matière à inquiétude, le sexisme est particulièrement prégnant chez les moins de 35 ans. Seulement 35 % des jeunes hommes de 25-34 ans trouvent anormal qu’une femme gagne moins qu’un homme à poste et à compétence égaux. « On est encore dans une société qui va à deux vitesses, même qui recule », a-t-elle conclu.
Placés dans un tel contexte, les participants à la table-ronde ont essayé de proposer des solutions d’amélioration. Pour Christelle Toillon, la première des choses à changer serait de lutter contre les stéréotypes dès la naissance : « Dès la petite enfance, les parents ont cette vision que leur fille n’a peut-être pas la place d’un homme. »
PLAFOND DE VERRE DANS LES MÉTIERS TECHNIQUES
Le pli continue ensuite à l’école, dans les parcours de formation, dans les parcours professionnels et les métiers : « On le voit dans le numérique où les femmes n’arrivent pas à percer : 50 % d’entre elles quittent le secteur avant d’avoir 35 ans. Quand les femmes arrivent à un niveau cadre dans des métiers techniques ou scientifiques poussés, on leur donne un poste mais pas obligatoirement dans la partie technique. Elles vont faire leurs preuves pendant les quatre ou cinq premières années, mais elles ne monteront pas à cause du plafond de verre. Et celles qui ont un haut potentiel iront vers la communication et les RH, pas dans les filières qui mènent au codir. »
Différentes réformes récentes ou à venir ne vont pas non plus dans le bon sens. « Pour ma part, j’ai fait carrière dans l’industrie, dit Christelle Toillon (voir son portrait dans le magazine confédéral de décembre 2019, page 37), et je faisais partie du conseil pour la mixité dans l’industrie. Nous avons fait des actions, mais quand nous avons vu arriver la réforme du système scolaire de janvier 2023, cela a été une grande déception. »
La négociation actuelle sur le « pacte de la vie au travail », dont le chef de file pour la CFE-CGC est Jean-François Foucard, secrétaire national aux parcours professionnels, pourrait avoir un « impact négatif sur les femmes », selon Christelle Toillon. Dans la mesure où certains fonds alloués à la formation professionnelle sont menacés et où il est question de faire payer une partie de leur formation par les salariés, les femmes étant moins payées que les hommes seraient les premières touchées. « Certaines qui doivent financer une reconversion ne pourraient plus le faire », alerte l’élue confédérale de la CFE-CGC. Qui se raccroche quand même à l’espoir que dans cette négociation les discussions sur la prévention de l’usure et de la pénibilité puissent être vues en partie sous l’angle des femmes.
ALERTE SUR LA TOXICITÉ DE L’INTERNET
En conclusion de l’événement, Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, a reconnu que le bilan annuel de cette entité n’était « pas brillant et même un peu inquiétant puisque nous constatons que dans les jeunes générations le sexisme est encore plus présent que dans les autres. Un quart des jeunes hommes de moins de 25 ans par exemple disent que pour s’affirmer il faut être un peu violent… On en est encore à devoir lutter pour des choses qui paraissent effarantes en 2024. »
Enfin elle a sonné le tocsin sur la situation dans le monde du numérique et d’internet en particulier : « Si on ne fait rien, on n’aura que nos yeux pour pleurer dans quelques années. On aura formé des générations de barbares éduqués au porno et à la violence. »
Gilles Lockhart
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