Marché immobilier sous pression, pouvoir d’achat et difficultés des salariés à se loger, tensions sur le marché du travail… Le logement est devenu un sujet central et un levier pour l’action syndicale.
« Un choc d'offres pour répondre à la crise du logement et déverrouiller le secteur ». C’est en ces termes que le Premier ministre Gabriel Attal a évoqué la problématique du logement le 30 janvier dernier, lors de sa déclaration de politique générale. En juin 2023, c’est l’ancien ministre du logement Olivier Klein qui évoquait un risque de « bombe sociale » au sujet de la situation très tendue du marché immobilier. Une crise qui impacte de nombreux salariés du secteur privé comme du secteur public, confrontés à des difficultés d’accès au logement.
un marché immobilier sous pression
La situation : Selon la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), le marché immobilier a enregistré en 2023 une chute « historique » de 22 % des ventes dans l'ancien. Avec 875.000 transactions en 2023 contre 1,12 million en 2022, ce recul est le pire depuis 50 ans et devrait se poursuivre en 2024 (-10 %). En cause, « l'effet combiné de l'inflation, de la hausse des taux d'intérêt et des difficultés croissantes d'accès au crédit ».La FNAIM pointe « un étranglement de l’offre locative » dans tous les territoires. Alors que l'offre de vente a augmenté de 33 % en 5 ans, l'offre locative a chuté de 59 %. Entre pénurie de biens, constructions à l'arrêt et logements énergivores retirés du marché alimentent la crise, on se retrouve avec « des étudiants qui restent habiter chez leurs parents et des entreprises qui sont contraintes de construire des logements au plus près de leur lieu de production », souligne la FNAIM.Toute la filière est impactée, notamment les promoteurs. L’an dernier, Action Logement, l’organisme paritaire du logement social et des aides à l'habitat, a ainsi racheté 30 000 logements neufs aux promoteurs afin de limiter la casse.
L’analyse de Diego Alarçon, expert confédéral CFE-CGC au logement : « Deux paramètres ont impacté la baisse d’activité des promoteurs : le prix de la construction et le taux d’intérêt pour l’emprunteur. Le métier de promoteur repose sur un portage long : acquisition d’un foncier, étude de la capacité à y construire au regard des règles d’urbanisme, dépôt du permis de construire, éventuels recours puis début des travaux. Les coûts de sortie des opérations en vente en l'état futur d'achèvement (Vefa) ont abouti à des réservations en nette baisse, d’où l’abandon de nombreux programmes. À cela s’ajoute pour les primo accédants et les investisseurs individuels l’accès à un crédit rare. Dès lors, la machine s’est grippée. L’incapacité à trouver des acquéreurs a entraîné de graves défauts de trésorerie pour les promoteurs. Action Logement est intervenu dans le cadre de nombreuses acquisitions pour soutenir la filière et flécher les logements achetés vers le logement des salariés. Malgré cet effort, le nombre d’entreprises en difficulté s’est accru. »
des conséquences sur l’emploi
La situation : La crise du logement impacte directement les emplois de la filière. Dans son bilan 2023, la Fédération française du bâtiment (FFB) prévoit une récession d’activité de 5 % cette année avec pour conséquence la suppression de 90 000 postes dans le secteur (environ 1,6 million de salariés) et 150 000 emplois menacés à l’horizon 2025.
L’analyse de Diego Alarçon : « Le secteur du BTP vient de connaître deux crises majeures : le Covid et la guerre en Ukraine (hausse du coût de l’énergie, du prix des matériaux, délais d’approvisionnement…). Tous ces surcoûts ont abouti à des appels d’offres infructueux et des reports, accentuant le ralentissement dans la filière auquel s’ajoutent un foisonnement législatif sur le logement (droits des sols, longueur des procédures, réglementation technique) et l’évolution des taux de crédits tant pour le logement social (adossé au livret A) que ceux alloués aux particuliers ou promoteurs. Ces facteurs accentuent le ralentissement de l’activité avec le risque d’une masse salariale faisant office de variable d’ajustement immédiate, la perte de compétences et la disparition d’emplois pour majeure partie non délocalisables. »
pénurie de logements et pouvoir d’achat en berne
La situation : Dans son bilan 2023, le groupe spécialisé dans la diffusion d’annonces immobilières Se Loger indique que la pénurie de biens disponibles à la location s'aggrave : -36 % en deux ans. Dans les plus grandes villes françaises, le nombre d'appartements à louer a chuté de 39 % en 3 ans. De son côté, l’Union sociale pour l’habitat (USH) a publié fin 2023 une étude indiquant qu’il faudrait construire ou remettre sur le marché 518 000 logements par an d’ici à 2040 afin de subvenir aux besoins de la population.La question du pouvoir d’achat est bien sûr centrale, la FNAIM rappelant que les Français ont perdu « 15 % de pouvoir d'achat immobilier en deux ans ».
L’analyse de Diego Alarçon : « Il existe une pénurie de logements mais on ne peut se borner à parler de nombre sans aborder le coût actuel du logement et le taux d’effort (rapport entre la somme des dépenses liées à l'habitation principale et les revenus des ménages), et les rapprocher des salaires et des retraites. De nombreux témoins sont passés au rouge et il y a danger à les occulter. Des logements sociaux construits en masse dans certains bassins industriels sinistrés ne trouvent plus preneurs faute d’emplois. Des déplacements en masse de jeunes retraités vers des régions côtières créent aussi une tension sur le marché, ne permettant plus aux locaux de se loger à coût raisonnable. "L’airbnbisation" des grandes métropoles conduit par ailleurs à la sortie du parc locatif de bon nombre de logements. Ceci génère une situation inflationniste, déportant la tension sur des zones limitrophes et accentuant les déplacements pendulaires. »
la crise du logement renforce les tensions sur le marché du travail
La situation : La difficulté de se loger à des prix abordables dans les grandes agglomérations est devenue un frein à l’emploi. Les entreprises s’y intéressent et multiplient les initiatives pour accompagner leurs salariés (voir par exemple le récent accord signé à la RATP sur la mise en place d’un parcours salarié-logé). Une étude publiée fin 2023 par l’organisation patronale CPME souligne que près d'une TPE-PME sur cinq (19 %) ont du mal à recruter en raison des difficultés des candidats à se loger.
L’analyse de Diego Alarçon : « Les partenaires sociaux agissent au sein d’Action Logement pour accompagner les parcours résidentiels et professionnels des salariés, en "collant" aux réalités économiques et sociétales : familles monoparentales, personnes en situation de handicap, mobilités, taux d’effort, télétravail, garant dans le secteur locatif privé pour les jeunes… Rappelons enfin qu’il n’y a pas de société ni d’État sans logements. Un logement et le regroupement de logements font nos hameaux, nos villages, nos villes, nos métropoles. Tout ceci crée une Nation où il doit faire bon vivre ensemble. »
action logement : un acteur paritaire de poids
En 1953 était instauré le dispositif du 1 % logement pour mieux loger les salariés. L’instance deviendra Action Logement en 2009. Géré par les organisations syndicales et patronales, l’organisme, acteur de référence du logement social et intermédiaire avec un patrimoine de plus d’un million de logements, est chargé de faciliter l’accès au logement afin de favoriser l’emploi. Action Logement gère la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC) pour aider les salariés dans leur mobilité résidentielle et professionnelle, et pour financer des logements sociaux et intermédiaires.En juin 2023, Action Logement, en présence des partenaires sociaux, a signé avec l’État une nouvelle convention quinquennale pour la période 2023-2027, prévoyant la mobilisation de 14,4 milliards d’euros : 5,5 Md€ pour le financement des bailleurs pour la construction et la réhabilitation de logements ; 3,7 Md€ pour accompagner les salariés dans leur parcours résidentiel en lien avec l’emploi ; 5,25 Md€ pour investir dans les politiques publiques du logement, notamment la rénovation urbaine (NPNRU) et Action Cœur de Ville.Malgré une année 2023 déstabilisante pour l’ensemble du secteur du logement, Action Logement a démontré la robustesse de son modèle paritaire. L’an passé, Action Logement Services a accompagné 750 000 salariés dans leur parcours résidentiel :
214 191 aides à la mobilité pour leur permettre de se rapprocher de leur lieu de travail.
319 107 garanties Visale pour permettre aux salariés aux revenus modestes d’accéder au parc locatif privé.
110 000 attributions locatives essentiellement via la plateforme d’offres de logement AL’in.fr.
Action Logement Services a par ailleurs confirmé son soutien au secteur du logement abordable et durable avec 2 milliards d’euros de financements en 2023 :
661,5 millions d’euros pour la construction de logements sociaux en métropole et 130 millions d’euros pour la production de logements intermédiaires.
173,5 millions d’euros dont 165 millions d’euros de prêts bonifiés et 8,5 millions d’euros de fonds propres en faveur du logement ultramarin.
184 millions d’euros pour la revitalisation des centres-villes dans le cadre du programme national Action Cœur de Ville 2 pour une offre nouvelle de 3 850 logements.
734 millions d’euros de prêts et subventions au titre du renouvellement urbain.
L’analyse de Christophe Roth, secrétaire national CFE-CGC en charge de de l’accessibilité et de l’égalité des chances
« Le logement est le premier poste de dépense des salariés. L’accompagnement des salariés et des agents dans leur recherche d’un logement constitue un des piliers de notre modèle social. À cet effet, la CFE-CGC est pleinement investie dans la gouvernance paritaire d’Action Logement, qui a célébré en 2023 son 70e anniversaire, et sur le dispositif 1 % logement. Le logement est en effet au carrefour de l’emploi, du pouvoir d’achat et du parcours résidentiel des salariés, que l’on soit jeune actif, locataire ou propriétaire, étudiant, apprenti, salarié du privé ou agent de la fonction publique, en mobilité géographique, en situation de handicap, en fragilité financière financière ou confronté à un accident de la vie. Les défis du logement, l’impératif de décarbonation des habitations, les besoins des adhérents de la CFE-CGC et de l’ensemble des Français sont autant de raisons pour consolider notre corpus revendicatif visant à faire du logement une offre de service syndicale à part entière. »« La CFE-CGC réaffirme donc la nécessité d’une vraie politique du logement qui apporte du pouvoir d’achat aux salariés, qui soutienne la réindustrialisation du pays en favorisant la construction de logements dans les bassins d’emplois concernés, et qui donne sans détour les moyens de financer la rénovation énergétique des logements afin de respecter la trajectoire fixée de décarbonation. Avec les équipes confédérales (Christophe Legois, Diego Alarçon, Fatima Hamadi) du secteur accessibilité et égalité des chances, la CFE-CGC est force de propositions et investie sur toutes ces problématiques, notamment la refonte des dispositifs d’aide à la mobilité (ex-Mobili-Pass), et nourrit le dialogue avec l’ensemble des parties prenantes du logement social et intermédiaire. »
Mathieu Bahuet
LE LOGEMENT CLÉ EN MAIN AVEC LE MÉMO PRATIQUE CFE-CGC
Parce que le logement occupe une part prépondérante du budget des ménages et qu’il est une préoccupation majeure des salariés, la CFE-CGC met à disposition de ses adhérents un mémo pratique pour bien appréhender les dispositifs d’accompagnement existants et les démarches à entreprendre : recherche d’un logement, situation de mobilité professionnelle, travaux de rénovation énergétique…
CHIFFRES CLÉS
83 %
La part de Français qui pensent qu’il y a une crise du logement en France. (Source : Alliance pour le Logement, janvier 2024).
44 %
La part des Français ayant un projet d’achat ou de location qui disent rencontrer des difficultés : taux d’intérêt dissuasifs, manque de ressources financières et de logements disponibles… (Source : Alliance pour le Logement, janvier 2024).
-22%
Le record historique de baisse de ventes sur un an en France en 2023, à environ 865 000 ventes. En 2024, les ventes devraient à nouveau s’inscrire en baisse autour de -10 % à 800 000 transactions. (Source : FNAIM).
+33 % en 5 ans
L’évolution du nombre d’annonces de ventes immobilières, du fait de la baisse des transactions et de l’allongement des délais (source Bien’Ici, Clameur, FNAIM).
-59 % en 5 ans
L’évolution du nombre d’annonces de location de logements (source Bien’Ici, Clameur, FNAIM).
1 400
Le nombre estimé de défaillances d’agences immobilières en 2024, contre 887 en 2023 (source : Banque de France, Altarès).
-21,3 %
La baisse d’activité en 2024 si aucune mesure d’urgence n’est prise, selon la Fédération française du bâtiment (FFB). Avec un recul des permis de construire anticipé à 12 %. (Source : Alliance pour le Logement, janvier 2024).
6,6 millions
Le nombre de passoires thermiques (logements classés F et G) en France, dont 4,8 millions de résidences principales. Le budget moyen pour réaliser des travaux d’économies d’énergie est estimé à 40 000 euros par logement. Soit, d’ici 2028, un coût global de 192 milliards d’euros. (Source : FNAIM).
30 %
La part de logements inoccupés dans les 1er, 6e, 7e et 8e arrondissements de Paris. (Source : Apur, février 2024).
132 600
Le nombre d’étudiants inscrits dans un établissement du supérieur de la Métropole du Grand Paris qui résident hors de ses limites et qui empruntent quotidiennement des moyens de transport pour s’y rendre, soit 25 % des inscrits. (Source : Apur).
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